UNE DECLARATION D'INTENTION ET UN MANIFESTE STRATEGIQUE
24 juillet 2006
Traduction : Bertrand Declercq et Mara Boulefaa, C%rditrad
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(Ce document a été rédigé collectivement, sur une période de deux mois, par des représentants des organisations ayant participé à la "Session prospective sur le Fonds monétaire international" à l'Institut des Etudes Politiques (Institute for Policy Studies) de Washington, à l'occasion de la réunion de printemps du FMI et de la Banque Mondiale, qui a eu lieu la troisième semaine d'avril 2006. Il est diffusé mondialement pour un appel à signature en prévision de la décisive réunion d'automne des institutions de Bretton Woods, qui se tiendra à Singapour du 13 au 20 septembre 2006. Ce document, avec la liste de ses signataires, sera présenté aux gouvernements participant à la réunion. Il doit servir de lancement à une campagne mondiale, dont les autres éléments seront une conférence sur l'avenir du FMI à Singapour le 17 septembre et d'autres événements dans la proche île de Batam, en Indonésie, du 15 au 19 septembre.)
(Premiers signataires : Institute for Policy Studies; Sisters of the Holy Cross Congregation Justice Committee; Focus on the Global South; Jubilee South; 50 Years is Enough; Gender Action; Nicaragua-US Friendship Office; Solidarity Africa Network; Development Gap; Citizens' Action for Essential Services; Intercultural Resources-Lokayan; Tebtebba (Indigenous Peoples' International Center for Policy Research and Education); Asian Indigenous Women's Network (AIWN); Jerry Mander, co-directeur, International Forum on Globalization.)
Le Fonds Monétaire International n'a peut-être jamais été aussi vulnérable depuis des années. Il souffre d'une triple crise : une crise de légitimité, une crise budgétaire et une crise identitaire, sans précédent dans son histoire, longue de 62 ans. Ces circonstances offrent la possibilité aux critiques du FMI de l'affaiblir significativement ou de le mettre sous tutelle, voire même de l'abolir. Si elle n'est pas saisie, cette opportunité peut s'échapper, et les conditions du rétablissement et de la sauvegarde du FMI pourraient advenir.
Il y a dix ans, le FMI avait le vent en poupe, arrogant, car croyant savoir ce qu'il fallait pour aider les pays en voie de développement. Aujourd'hui, le FMI est une institution en crise, qui se terre derrière ses quatre murs à Washington, incapable de se défendre efficacement devant le flot croissant des critiques.
UNE CRISE DE LEGITIMITE
La roue a tourné pour le FMI principalement à cause de la crise financière en Asie, qui a mis à terre les fameuses économies des tigres durant l'été et l'automne 1997. La crise asiatique a été pour le FMI une sorte de « Stalingrad » et celui-ci ne s'en jamais réellement remis. Ainsi que l'a formulé Dennis de Tray, un ancien fonctionnaire du FMI qui travaillait à la Banque mondiale à Jakarta au moment de la crise, « le FMI a perdu sa légitimité à cette occasion, et il ne l'a jamais recouvrée ». [1]
Le FMI a encaissé trois coups dévastateurs lors de cette crise. Tout d'abord, il a été tenu pour responsable de la politique de suppression du contrôle des mouvements de capitaux qu'ont suivie la plupart des gouvernements d'Asie orientale dans les années précédant la crise. C'est un fait que cette politique de convertibilité de la monnaie nationale aux fins des mouvements de capitaux a attiré des milliards de dollars de capitaux spéculatifs de 1993 à 1997, mais elle a aussi enlevé tout garde-fou à l'évasion de capital qui a eu lieu pendant la panique de l'été 1997, quand environ 100 milliards de dollars ont quitté les économies de l'Indonésie, des Philippines, de la Thaïlande, de la Malaisie et de la Corée du Sud en seulement quelques semaines.
Le deuxième coup a été la croyance, largement partagée, que les plans d'aide de plusieurs milliards de dollars montés par le FMI à destination des pays touchés n'ont en fait pas été affectés au sauvetage des économies, mais au remboursement des créanciers étrangers et des investisseurs spéculatifs. On peut prendre l'exemple de Citibank, qui, quoique très fortement exposée en Asie, n'a pas perdu le moindre centime dans la crise. Cette situation scandaleuse a valu de nombreuses critiques au FMI, même de partisans du libre-échange comme George Schultz, ancien Secrétaire d'Etat de Richard Nixon, qui déclara que le FMI favorisait «l'aléa de moralité » et devait en conséquence être aboli.
Le troisième coup porté au FMI a découlé des résultats des programmes de stabilisation qu'il imposa aux économies en crise. Ces programmes, obstinément centrés sur la réduction des dépenses publiques en vue de combattre l'inflation, ont en fait précipité ces économies vers la récession.
La débâcle financière asiatique a donné une nouvelle dynamique à l'examen continu des programmes d'ajustement structurel que le FMI, ainsi que la Banque mondiale, avaient imposé à plus de 90 économies en voie de développement ou en transition depuis 1980. Peu avaient réussi à faire advenir la croissance, la réduction des inégalités et la baisse de la pauvreté qu'on avait promis aux pays mettant en œuvre ces programmes. En fait, les programmes de « traitement de choc » du FMI en Russie et en Europe de l'Est avaient créé des millions de pauvres supplémentaires dans les années 1990. [2] Les résultats étaient si catastrophiques que les programmes d'ajustement structurel élargis du FMI durent être rebaptisés « facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance ».
Puis, en 2002, alors que le FMI était encore sous le coup de la crise financière asiatique, l'Argentine s'effondra, en défaut de paiement de 100 milliards de dollars sur une dette extérieure de 140 milliards de dollars. Peut-être plus que n'importe quel autre pays au monde, l'Argentine avait suivi à la lettre les prescriptions néolibérales du FMI, notamment une déréglementation sauvage, une libéralisation complète des tarifs douaniers et une dérégulation financière. Le FMI était également le plus grand soutien de la caisse d'émission argentine, qui indexa l'approvisionnement en peso, la monnaie argentine, au volume de dollars en circulation dans le pays. Quand cet ensemble de politiques s'effilocha en 2001 et 2002, il en fut de même pour la crédibilité du FMI, qui avait injecté des milliards de dollars en prêts de stabilisation pour les soutenir.
La période qui succéda à la crise fut encore plus dévastatrice. Quand Nestor Kirchner fut élu président de l'Argentine en 2003, il déclara que son gouvernement honorerait sa dette envers les créanciers privés, mais seulement à hauteur de 25 cents pour un dollar. Des créanciers furieux demandèrent au FMI de prendre des mesures contre Kirchner, mais avec une réputation en lambeaux et une influence diminuée, le FMI n'osa pas s'en prendre au président argentin, qui s'en sortit avec une annulation massive de la dette contractée par l'Argentine auprès du secteur privé international. [3]
Avec un autre groupe d'acteurs (les gouvernements des pays en voie de développement) la décision suivante de l'Argentine, et du Brésil, détruisit l'image du FMI en tant qu'indispensable prêteur de dernier ressort : les deux gouvernements payèrent entièrement la dette qu'ils avaient contractée auprès du FMI, ce qui leur permit de se déclarer indépendants d'une institution fort décriée en Amérique Latine.
CRISE BUDGETAIRE
La crise de légitimité a eu des conséquences financières. En 2003, le gouvernement thaïlandais déclara avoir payé la majeure partie de sa dette au FMI et qu'il serait bientôt financièrement indépendant de l'institution. L'Indonésie mit fin à son accord de prêt avec le FMI en 2003 et annonça récemment son intention de rembourser en deux ans sa dette de plusieurs milliards de dollars.[4] Plusieurs autres gros emprunteurs asiatiques, conscients des conséquences dévastatrices des politiques imposées par le FMI, se sont abstenus de contracter des emprunts supplémentaires auprès du FMI. En font partie les Philippines, l'Inde et la Chine. Maintenant, cette tendance a été renforcée par les récentes décisions du Brésil et de l'Argentine, qui, en remboursant toute leur dette et en affirmant leur souveraineté financière, ont implicitement signalé ne plus vouloir recourir à l'emprunt.
Il s'agit en fait d'un véritable boycott de la part de ses principaux emprunteurs, qui se traduit par une crise budgétaire, car, pendant les deux dernières décennies, le fonctionnement du FMI a été de plus en plus financé par les remboursements de prêts de ses clients, les pays en voie de développement, plutôt que par les contributions des riches pays du nord, qui avaient délibérément transféré la charge de soutenir financièrement l'institution sur les épaules des emprunteurs. D'après les estimations du FMI, la conséquence de ces événements est la diminution de plus de la moitié des montants des remboursements de la dette et des intérêts, de 3,19 milliards de dollars en 2005 à 1,39 milliards de dollars en 2006, puis encore de la moitié, pour atteindre 635 millions de dollars en 2009, ce qui créera selon Ngaire Woods, spécialiste du FMI à l'université d'Oxford, « une contraction majeure du budget de l'organisation. » [5]
CRISE IDENTITAIRE
La désagrégation du rôle de gendarme des pays criblés de dette et de promoteur d'ajustement structurel joué par le FMI s'est accompagnée d'une quête futile d'un nouveau rôle.
Une tentative du Groupe des Sept de placer le FMI au cœur d'une nouvelle « architecture financière mondiale » en lui attribuant la gestion « d'une ligne de crédit de réserve » disponible aux pays poches d'une crise financière – sous réserve de remplir les conditions macroéconomiques définies par le FMI, se termina lamentablement quand il fut souligné que le spectacle d'un gouvernement demandant accès à cette ligne de crédit déclencherait la panique financière censée être ainsi évitée.
Une proposition d'établissement d'un « Mécanisme de restructuration de la dette souveraine » géré par le FMI – une variante internationale du Chapter 11, régime de sauvegarde de la faillite, qui protégerait de ses créanciers les pays pendant l'établissement de leur plan de restructuration, s'est heurtée aux objections des pays du Sud – qui la trouvait trop limitée, et à l'opposition des États-Unis, qui avait peur que cela ne réduise la liberté d'action des banques américaines.
Lors de sa récente réunion du printemps de 2006, le FMI fut chargé de superviser les relations des pays présentant de forts déséquilibres macroéconomiques – c'est à dire des excédents ou des déficits commerciaux gigantesques, mais le mandat était très vague. Tout au plus, cela témoignait des efforts désespérés des pays du G8 de trouver un rôle à une bureaucratie économique internationale qui était devenue obsolète et dépassée.
POURQUOI NOUS DEVONS AGIR MAINTENANT
Le FMI n'ayant jamais été aussi vulnérable en raison de la triple crise qu'il traverse, le moment présent est le plus opportun pour lancer une campagne visant à le mettre sous tutelle – l'affaiblir, voire l'abolir.
Trois facteurs déjà en place pourraient favoriser le succès de cette campagne.
Premièrement, comme évoqué plus haut, les pays en voie de développement principaux clients du FMI ont en assez et ne veulent plus avoir affaire à lui.
Deuxièmement, les élites américaines sont plus que jamais divisées sur le sort du FMI, une majeure partie des conservateurs souhaitant son abolition. La dernière demande de reconstitution des ressources du FMI au Congrès américain en 1998 fut votée par la plus faible des marges. On peut douter qu'une telle demande serait votée aujourd'hui.
Troisièmement, les États-Unis et les principaux pays européens ont fait l'expérience de divergences majeures dans leurs politiques vis-à-vis du FMI. Les principaux gouvernements européens, par exemple, voulaient pousser le FMI à forcer l'Argentine à rembourser les détenteurs d'obligations, majoritairement européens. Mais d'un autre côté, l'administration Bush était très réservée sur cette idée, souhaitant éviter que les ressources du FMI ne soient utilisées pour renflouer des spéculateurs européens. [6] Autre exemple récent de divergence : les gouvernements européens souhaitaient mettre en place le Mécanisme de restructuration de la dette souveraine. Les Américains ont torpillé la manœuvre.
En bref, les trois piliers sur lesquels a reposé le FMI pendant plus de 60 ans : son caractère indispensable aux yeux des pays en voie de développement, un « consensus internationaliste » au sein des élites américaines et un « consensus transatlantique » entres les élites européennes et américaines ont été sérieusement secoués, donnant de réelles possibilités à la société civile mondiale de le mettre sous tutelle ou hors service.
UN INDISPENSABLE PRETEUR DE DERNIER RESSORT ?
Alors qu'un nombre croissant de personnes et de groupes étudiant le FMI s'accordent sur son dysfonctionnement croissant, certains hésitent encore à demander sa mise hors service, car ils pensent qu'on a toujours besoin d'un « prêteur de dernier ressort » pour les pays en voie de développement. [7]
Ce n'est plus un rôle viable pour le FMI.
Pour beaucoup de pays asiatiques, la solution consiste en une organisation régionale comprenant mieux que le FMI les particularités de la région et qui ainsi imposerait ses conditions avec plus de discernement. Le Fonds monétaire asiatique (FMA), contre lequel Washington et le FMI avaient mis leur veto pendant la crise financière en Asie, aurait joué ce rôle. En fait, avec le processus « ANASE + 3 », les pays d'Asie de l'Est se dirigent peut-être vers la création d'une communauté financière régionale de cet ordre.
Il y a également des avancées en Amérique latine vers la création d'une institution régionale dont une des fonctions serait celle de réserve de capitaux et de prêteur de dernier ressort : l'Alternative bolivarienne pour les Amériques (ALBA), soutenue par le Venezuela, la Bolivie et Cuba.
Mais une objection subsiste : l'Asie de l'Est et l'Amérique latine ont des réserves en capitaux suffisantes pour jouer le rôle de prêteur de dernier ressort régional. Mais qu'en est-il de l'Afrique, dépourvue de capitaux ? C'est cette préoccupation qui a fait que beaucoup de gouvernements africains rechignent à prendre leurs distances avec le FMI.
Tout d'abord, l'Afrique sub-saharienne, comme la plupart des pays du Sud, a principalement besoin d'une véritable annulation de sa dette, sans conditionnalités externes, et non d'un programme factice comme le PPTE (« pays pauvre très endetté »), rempli de conditionnalités du type FMI. Cette annulation inclurait la dette des pays africains auprès du FMI, ce que le FMI a obstinément refusé, bien qu'il ait récemment accepté à contrecœur d'annuler la dette que 19 pays PPTE avaient contractée auprès de lui. La question de savoir qui jouerait le rôle de prêteur de dernier ressort en Afrique est importante, mais les terribles états de service du FMI dans cette région, faits de mauvais conseils et de politiques désastreuses, sont loin de faire de lui un candidat sérieux pour continuer à jouer ce rôle.[8]viii Comme l'a remarqué un spécialiste, l'Afrique est non seulement en train de devenir le refuge pour des politiques qui ont échoué ailleurs, mais en plus elles sont mises en œuvre par des bureaucrates du FMI qui sont soit moins expérimentés, soit de moindre calibre. [9]
Au lieu de dépendre du FMI, les gouvernements africains pourraient tirer parti d'une coopération avec des pays en voie de développement relativement pourvus en capitaux, comme la Chine, le Venezuela, l'Inde et l'Afrique du Sud pour mettre sur pied une institution régionale qui jouerait le rôle de prêteur de dernier ressort. Cependant, en tirant les leçons de leurs expériences avec les pays du Nord et le FMI, ils devraient insister pour obtenir de ces gouvernements des accords aux termes équitables, sans conditionnalités, ce qui ne sera pas facile, certains de ces pays étant aussi profiteurs que les groupes d'intérêts du Nord.
Mais les Africains n'ont qu'une alternative : gagner la maîtrise des ressources de leur riche continent – à travers l'annulation ou la répudiation de la dette, ou à travers des alliances avec de potentiels alliés bienveillants comme le Venezuela et d'autres qui ont déjà rompu tout lien avec le FMI – et utiliser ces ressources pour le développement au lieu de les laisser se déverser hors d'Afrique sous la forme de remboursements colossaux de la dette destinés à ses grands créanciers, la Banque mondiale et le FMI.
NE PAS SAISIR L'OPPORTUNITE : LES CONSEQUENCES
Le FMI est actuellement à bout de souffle, mais sa capacité à rebondir ne doit pas être sous-estimée. Des circonstances pour le moment imprévisibles pourraient amener les États-Unis et les pays européens à s'unir de nouveau pour ranimer le FMI. Ou bien les États-Unis pourraient le maintenir artificiellement en vie pour qu'il serve de véritable arme à la solde des politiques unilatérales de Washington, par exemple, pour forcer la Chine à réévaluer le renminbi afin de résoudre le déficit de la balance commerciale des États-Unis.
Autrement dit, nous ne pouvons pas nous permettre de rester inactifs et de contempler les convulsions dont souffre un FMI à l'agonie. Nous devons participer à l'organisation de la fin qu'il mérite amplement.
EXIGENCES ET ACTIONS DE LA CAMPAGNE
Pour atteindre l'objectif stratégique d'abolition du FMI, cette Campagne doit exhorter les gouvernements des pays du Sud à ne plus conclure d'accord de prêt avec le FMI.
Elle doit aussi exhorter les gouvernements à répudier unilatéralement les dettes qu'ils doivent au FMI.
Nous devons demander aux pays participant à des programmes d'allègement de la dette factices ou inefficaces (comme le PPTE), programmes coordonnés par le FMI et la Banque mondiale, de les quitter complètement.
De la même manière, cette Campagne doit demander aux gouvernements participant aux Programmes stratégiques de réduction de la pauvreté (DSRP) de ne pas suivre les conseils et la gestion prodigués par le FMI et la Banque mondiale et de réétudier voire de rompre unilatéralement les engagements qu'ils ont pris dans le cadre de ces programmes. Une tâche cruciale consistera à dévoiler systématiquement les impacts négatifs des conditionnalités imposées par le FMI et la Banque mondiale sur la production, l'emploi, les salaires, le revenu, l'égalité des sexes, le système de santé publique, les services publics et l'environnement. Le programme Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance du FMI semble actuellement particulièrement vulnérable, et une campagne ciblée visant à l'abolir a une bonne chance de succès, ce qui pourrait alors créer une dynamique pour d'autres initiatives similaires.
Un contrôle parlementaire (ou du Congrès), des dispositions et des pratiques budgétaires devraient être utilisés pour demander des débats sur le FMI et des audits aux États-Unis, en Europe, au Japon et dans les pays du Sud. Le retrait du FMI pourrait être un sujet de débat à émettre pour attirer l'intérêt des gouvernants et de la société civile. Mettre en place un forum sur ce sujet dans un pays leader, par exemple l'Argentine, pourrait entraîner des forums similaires dans d'autres pays.
La tenue de référendums populaires sur la question de l'appartenance au FMI pourrait s'y ajouter, sur le modèle exemplaire de celui mené en 2002 à propos de la participation du Brésil à la Zone de libre-échange des Amériques (ZLEA). En fait, là où la possibilité de victoire est réelle, nous pouvons forcer les parlements à voter sur la question du retrait du FMI.
Une conférence majeure sur les alternatives au FMI en ce qui concerne le prêteur de dernier ressort devrait être organisée en 2007, à partir d'un travail de recherche exhaustif mené cette année en préparation d'un tel événement. En introduction de cette conférence, notre Campagne organisera à Singapour un séminaire d'une journée sur les alternatives au FMI, à l'occasion de la réunion d'automne du FMI et de la Banque mondiale en septembre de cette année.
Un principe opérationnel majeur de cette campagne est de permettre aux différentes organisations impliquées de participer à la campagne « à la hauteur de leurs possibilités ». Certains gouvernements et certaines organisations, par exemple, ne sont peut-être pas encore prêts à rejoindre un appel à un retrait du FMI, mais souhaiteraient se retirer d'un Programme stratégique de réduction de la pauvreté (DSRP) ou soutenir l'abolition du programme Facilité pour la réduction de la pauvreté et pour la croissance (FRPC).
LE DEFI QUI NOUS ATTEND
Dans son principal ouvrage, La structure des révolutions scientifiques, Thomas Khun a montré comment les paradigmes, issus de cadres entraînant un bond prodigieux dans la connaissance, évoluent pour devenir des obstacles au progrès de la science. De la même manière, le FMI, institution vitale à la croissance et à la stabilité mondiale des deux décennies ayant suivi la Deuxième Guerre Mondiale, s'est métamorphosé en un monstre de plusieurs tonnes barrant la voie du développement durable aux milliards de pauvres du globe au cours des trois dernières décennies. Si cette institution obsolète avait été abolie à l'occasion de son cinquantième anniversaire en 1994, 22 millions d'Indonésiens et un million de Thaïlandais auraient été épargnés et n'auraient pas sombré sous le seuil de la pauvreté en raison des politiques de convertibilité de la monnaie nationale aux fins des mouvements de capitaux imposées par le FMI aux pays d'Asie de l'Est ; l'Argentine, l'archétype du néolibéralisme « façon FMI », n'aurait pas subi la tragédie d'avoir plus de la moitié de sa population sans emploi et vivant dans la pauvreté ; des milliers de personnes au Malawi auraient été sauvées de la faim et de la malnutrition, engendrées par l'obligation imposée par le FMI de « commercialiser » l'agence d'approvisionnement alimentaire et de stabilisation du pays, une décision qui conduisit à sa faillite.
Cent millions de personnes en Russie et en Europe de l'Est n'auraient pas connu la déchéance qui conduit à la pauvreté grâce aux thérapies de choc prônées par le FMI.
La gouvernance économique mondiale est importante, mais c'est un système dans lequel le FMI, dans sa configuration actuelle, n'a plus aucun rôle positif à jouer. Le rôle de régulateur que le FMI aurait pu prendre au sein du monde instable de la finance mondiale dérégulée a été constamment torpillé par son membre le plus influent, les États-Unis, alors que son rôle de prêteur de dernier ressort a été systématiquement miné par les conditionnalités qu'il impose à ses emprunteurs, qui ont accru la pauvreté et les inégalités et ont institutionnalisé la stagnation économique.
Abolir le FMI ne mènera pas au chaos la sphère financière et fiscale mondiale comme Wall Street aimerait nous le faire croire. Au contraire, abolir le FMI est une condition sine qua non pour mettre en place un système de gouvernance de la finance mondiale réellement juste, rationnel et efficace. Les conditionnalités du FMI condamnent les pays en voie de développement aux crises et à une plus grande pauvreté. Les programmes de « sauvetage » du FMI ne font rien d'autre que sauver les principaux créanciers tout en accablant les populations de programmes de stabilisation entraînant la récession. En fait, le FMI n'a aucun intérêt à diminuer le pouvoir des spéculateurs mondiaux, et tant qu'il restera dans une position de pouvoir, bloquant à la demande de Wall Street toute véritable réforme financière mondiale, il y aura plus de crises financières, plus d'insécurité pour les populations, et plus d'autonomie pour le capital financier.
Comme les vieux réacteurs nucléaires, le FMI est dangereux et beaucoup pensent qu'il devrait être mis au rebut. La meilleure solution aux problèmes posés par de telles institutions paléolithiques est de les abolir. Mais si ce n'est pas encore possible dans le cas du FMI, alors son pouvoir de nuisance et son domaine d'action doivent être radicalement diminués.
[1] Déclarations effectuées à un séminaire sur le FMI et la Banque Mondiale, Carnegie Endowment for International Peace, Washington, 21 avril 2006.
[2] Programme des Nations Unies pour le développement (United Nations Development Program – UNDP), Human Development Report (New York: Oxford University Press, 2003), pp. 33-65.
[3] Cependant, Kirchner continua de rembourser intégralement la dette argentine contractée auprès du FMI.
[4] « Le président déclare que la dette au FMI doit être remboursé dans les 2 ans », Jakarta Post, 26 mai 2006.
[5] Ngaire Woods, "The Globalizers in Search of a Future: Four Reasons why the IMF and World Bank Must Change, and Four Ways they can," CDG (Center for Global Development), 2 avril 2006.
[6] Voir Walden Bello, "Synthesis Report on the E Forum on International Regulation," Focus on the Global South et Pacific Action Research Center, Hong Kong, décembre 2005.
[7] Voir George Soros, On Globalization (New York: Public Affairs, 2002).
[8] Voir Ngaire Woods, The Globalizers: the IMF, the World Bank, and their Borrowers (Ithaca: Cornell University Press, 2006), p. 141-178.
[9] Woods, Déclarations effectuées à un séminaire sur le FMI et la Banque Mondiale, Carnegie Endowment for International Peace, Washington, 21 avril 2006.