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de Mary Lou Malig

Après le coup majeur qui lui a été porté à Cancun, l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC) s’est retirée dans un silence de mort et les experts o­nt prédit la fin de l’organisation si cette dernière ne se sortait pas de cette crise. (regagner doucement les ténèbres) Mais l’OMC –aussi durement touchée qu’elle fût- n’avait nullement l’intention de regagner calmement les ténèbres : elle se préparait simplement pour son retour ce mois de juillet

 

 

UN CADRE POUR LES NEGOCIATIONS SUR L’AGRICULTURE D’ICI JUILLET

Les négociations sur l’agriculture o­nt toujours servi de point de friction à l’OMC, de nombreux pays en voie de développement ayant opposé leur refus de prendre en considération d’autres négociations tant qu’ils n’auraient pas obtenu quelques satisfactions au plan de l’agriculture. De fait, l’une des pierres d’achoppement majeures à Cancun fut la négociation sur l’agriculture. Et en particulier, l’approche de réduction des droits de douane suggérée par les Etats-Unis et l’UE en amont de Cancun fut carrément rejetée par le G20 (1), le Groupe de Cairns et le G33 (2) et, tandis que le G20 priait encore pour une amélioration, le groupe joua lui un rôle-clé dans la mise à l’arrêt des négociations.

A Cancun, la faillite des pourparlers sur l’agriculture a déclenché un effet domino sur les autres domaines de la négociation. Il n’est pas surprenant que la stratégie post-Cancun de l’UE et des Etats-Unis ait été de faire pression pour parvenir à un accord sur l’agriculture dans leur effort pour se tirer de l’impasse. La réunion de l’Assemblée Générale ce mois de juillet s’échafaude comme une rupture dans le statu quo actuel où l’UE et les Etats-Unis espèrent qu’elle produira un cadre de négociations sur l’agriculture qui par là même fera avancer l’ensemble des autres négociations. Se mettre d’accord sur un cadre de négociations entraîne des effets très sérieux : une fois convenu, le cadre de négociations ne peut plus être modifié et sa révision peut prendre plusieurs années

 

 

QUE COMPORTE UN CADRE DE NEGOCIATIONS ?

Le cadre de négociations actuel repose sur trois piliers : l’accès aux marchés, le soutien de la production intérieure et les subventions à l’exportation. Ces trois piliers sont intrinsèquement liés, mais les pays développés et certains pays en voie de développement les traitent comme des entités séparées. De nombreux pays en voie de développement souhaitent voir les piliers plus fortement liées entre eux de façon à ce qu’au final l’accord obtenu soit “équilibré ป. Cependant, jusqu’à présent, les projecteurs se sont concentrés sur le plus controversé des piliers : l’accès aux marchés.

L’UE et les Etats-Unis o­nt mis sur la table leur proposition d’accès aux marchés avant Cancun, mais elle a été rejetée par les pays en voie de développement. En réponse à cela, l’UE et les Etats-Unis o­nt appelé les pays en voie de développement à soumettre leur propre proposition. Le G20, en avance sur les séances de négociation sur l’agriculture de juin à l’OMC, o­nt présenté le texte de leur position sur l’accès aux marchés le 28 mai 2004.

 

Dans sa proposition, le G20 expose à grands traits les éléments d’un cadre de négociations sur l’accès au marché. Au contraire de la proposition UE-Etats-Unis, il ne propose pas de solution toute trouvée. Il précise plutôt les lignes directrices de base d’un cadre de négociations. Un négociateur brésilien explique que cela est fait dans le but de s’assurer que la proposition ne sera pas descendue en flammes aussi aisément, “nous posons les principes de base d’un cadre de négociations et si nous nous mettons d’accord dessus, alors nous pourrons discuter les détails de la formule. ป Le G20 soutient que sa proposition a une étendue assez large pour accommoder des positions différentes (3), ce qui la rend difficile à rejeter par les pays développés.

 

Elle aborde toutes les questions concernées par le pilier de l’accès au marché : les réductions de droits de douane, le traitement spécial et différencié (S&D) pour les membres pays en voie de développement, les membres PMA (Pays les Moins Avancés), l’érosion du critère de la préférence et les membres qui o­nt nouvellement accédés à l’OMC.

 

Les principaux principes de la proposition du G20 sont :

     

  1. ซ La formule devra assurer la progressivité des réductions de droits de douane par le biais de coupes plus profondes dans les droits de douane plus élevés. ป Selon une source du G20, c’est le principe le plus fondamental de toute la proposition. Des coupes plus profondes dans les droits de douane plus élevés, dit-il, sont un élément essentiel dans la réduction des droits de douane obligatoires.
  2.  

     

  3. Répondre à la nature sensible de certains produits au travers d’une combinaison de réduction de droits de douane et de quotas de taux de droits de douane (en En, TRQ).
  4.  

     

  5. Assurer un rendement juste et équitable en ayant un traitement S&D pour les états en voie de développement qui inclut l’application de taux de droits de douane inférieurs pendant un délai plus long par rapport aux états développés, l’application de réductions des droits de douane différenciées et l’établissement de mécanismes de garanties spéciales (en EN, SSM) et la désignation de produits spéciaux (en En, SP).
  6.  

 

  

Toutefois, la position du G20 a plusieurs inconvénients :

     

  1. Aucun lien n’est fait entre les réductions des droits de douane et les subventions à la production intérieure et aux exportations. Depuis le début des négociations en 1998, les pays en voie de développement n’ont cessé de déclarer qu’un lien entre le pilier de l’accès aux marchés et ceux des subventions à la production intérieure et aux exportations était essentiel pour l’obtention d’un accord équilibré.
  2.  

     

    Il est surprenant de voir que le G20 concède au travers des TRQ des engagements sur la réduction des droits de douane et une plus grande ouverture des marchés sans obtenir la garantie que les subventions aux exportations ou l’écoulement à bas prix sur les marchés extérieurs de la part des Etats-Unis et de l’UE seront atténués, ou encore moins éliminés. Sans discipliner les Etats-Unis et l’UE dans ce cycle de négociations, la discussion et l’occasion de s’attaquer au problème de l’écoulement à bas prix sur le marchés extérieurs –qui a été si dévastateur pour le Tiers-monde- seraient forcloses pour de nombreuses années. De fait, le paradigme actuellement inique de l’accord sur l’agriculture (AoA) avec ces règles d’échange inéquitables de façon patente serait encore mieux ancré.

     

     

  3. Des composantes du traitement spécial et différencié (S&D) insuffisamment élaborées/détaillées : la proposition du G20 dit simplement qu’un certain pourcentage des postes de droits de douane devraient être considérés comme produits spéciaux (SP)Le G20 devrait être plus précis sur ce qu’il souhaite voir sortir des SP. (édulcoré/atténué/affaibli) Si elle est reportée à un stade ultérieur des négociations, l’idée de SPจpourrait être tellement édulcorée qu’elle aurait davantage de valeur comme outil de relations publiques pour les Etats-Unis et l’UE que comme instrument de politique pour les pays en voie de développement. (4)
  4.  

     

     

  5. De la même façon, sur le mécanisme de garanties spéciales qui, selon le G20, ซ devra être établi pour l’usage des pays en voie de développement ป, aucun détail n’est donnéSi les pays en voie de développement o­nt accepté que les droits de douane doivent être réduits, il serait plus sage pour eux à ce stade de négocier exactement quel type de SSM et de SP ils obtiendront en retour de leur engagement à réduire les droits de douane. Le SSM devrait être rendu disponible pour la totalité des produits et la totalité des pays en voie de développement. Il devrait être également un instrument distinct de l’idée de SP.
  6.  

 

LE BON, LA BRUTE ET LA PLEBE

Ce qui est critique maintenant c’est un rassemblement des coalitions des pays en voie de développement et un renforcement de leur position commune sur l’agriculture. A Cancun, les G20, G33 et G90 (5) constituaient des regroupements différents, pourtant ils soutenaient les positions les uns des autres et étaient capables de faire entendre leur voix : ce n’était qu’en se rassemblant qu’ils o­nt pu obliger l’UE et les Etats-Unis à tendre l’oreille à leurs préoccupations longtemps ignorées. Cependant, si le G20, mené par le Brésil et l’Inde, prend sérieusement en considération la situation terrible de ses petits fermiers, il doit prendre conscience que sa présente proposition ne s’attaque pas aux injustices (et iniquités) de l’AoA.

 

Le G33, dénommé par l’un de ses négociateurs le ซ groupe de la plèbe ป, a le potentiel pour faire pression pour l’obtention de mécanismes de garanties spéciales pour les pays en voie de développement. L’UE et les Etats-Unis ressentent cette menace et recourent aux stratégies typiques du “diviser pour mieux régner”. L’UE s’est prononcée, non sans ingéniosité, pour une différenciation entre les pays en voie de développement les plus “développés” et les moins avancés. Ce qui ne fera pas qu’éroder que les capacités de négociation et de tactique du Sud mais aura également des conséquences systémiques, qui vont au-delà des négociations actuelles sur l’agriculture. L’UE réalise cela en offrant au G90 “un cycle pour rien”, leur promettant qu’ils n’auraient pas besoin d’entreprendre de réduction des droits de douane sur l’agriculture. Ce cadeau n’en est pas un puisque, entre autres complications, il va coûter cher par rapport aux obligations de droits de douane industriels des négociations sur l’accès aux marchés non agricoles (en En, NAMA), l’ouverture des services au marché et les “enjeux de Singapour” sur la concurrence, la facilitation des échanges, l’investissement et l’approvisionnement de l’Etat.

 

Lors d’entretiens informels, les négociateurs de pays en voie de développement, bases à Genève, o­nt tous reconnu dans cette décision une tentative de diviser les pays en voie de développement. Un ambassadeur d’un pays en voie de développement a déclaré que si la différenciation devait persister, son pays serait fort susceptible de ne pas se trouver sous la protection du G90 alors qu’en termes de PIB, il ne différait pas de bien des pays du G90. De même, une source du G20 a prévenu que le commissaire de l’UE au commerce Pascal Lamy a émis la nuance que l’offre était destinée “essentiellement” aux pays du G90, ce qui plus tard peut se traduire par l’UE choisissant quels pays elle inclura parmi les destinataires de son cadeau de Troie.

 

Un cadre de négociations en juillet fondé sur les présentes propositions sera à l’avantage des pays développés. Les pays en voie de développement ne devraient pas se voir forcer la main pour donner leur accord à un accord déséquilibré et injuste. Comme un ministre l’a dit après Cancun, une mauvaise transaction est toujours mieux que pas de transaction du tout et dans ce cas précis, un cadre de négociations contraint par l’UE et les Etats-Unis pourrait peser sur les générations à venir.

 

LAISSEZ-LA DERAILLER

La faillite de la réunion ministérielle de l’OMC à Cancun fut une victoire pour les mouvements sociaux, les fermiers, les paysans, les syndicats et les pauvres à la fois dans les pays développés et en voie de développement. Il est essentiel de s’accrocher à cette victoire et de ne pas laisser l’UE et les Etats-Unis faire pression pour le retour de l’OMC. (sa corde de sécurité) L’OMC se noie et un cadre de négociations sur l’agriculture ce mois de juillet lui tiendra lieu de filin de sécurité.

 

Alors que les formations des pays en voie de développement o­nt servi à faire bloc contre l’hégémonie de l’UE et des Etats-Unis dans les pourparlers, c’était en grande partie le produit de nombreuses années de travail des mouvements sociaux au Brésil et ailleurs. La situation actuelle des pays en voie de développement atteste suffisamment de l’inopportunité de vaciller sur des accords fondamentalement injustes. Il est temps d’enfoncer le dernier clou dans le cercueil de l’OMC et d’en finir avec ces accords néolibéraux qui finissent par tuer les petits fermiers et font passer le profit des entreprises avant les peuples.

 

 

 

notes

(1)Au mois de juin 2004, les pays du G20 comptent : l’Argentine, la Bolivie, le Brésil, le Chili, la Chine, Cuba, l’Egypte, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, le Nigeria, le Pakistan, le Paraguay, les Philippines, l’Afrique du Sud, la Thaïlande, la Tanzanie, le Venezuela et le Zimbabwe (2) Conduit par l’Indonésie, ce groupe de plus de quarante pays est aussi connu sous le nom d’Alliance sur les Produits Spéciaux et les Mécanismes de Garanties Spéciales (en En, SP/SSM)

(3)Le Brésil, l’Indonésie et d’autres pays du G20 o­nt confirmé que ce texte a été rédigé en consultation rapprochée avec d’autres coalitions : précisément le G33 et le Groupe de Cairns.

(4)Les pays développés et un petit nombre de pays en voie de développement opposés à l’idée de SP au sein de l’OMC o­nt récemment suggéré que le SP soit confiné à seulement 3 produits au niveau HS à 8 chiffres (càd presque sans importance pour ce qui est de tailler des exceptions à la sécurité alimentaire) Il a également été suggéré que son utilisation soit limitée aux produits à 25 % ou moins de droits de douane. La plupart des produits n’y aurait pas droit.

(5) Le G90 est composé des Pays les Moins Avancés (PMA), des pays de l’Union Africaine et des pays ACP (Afro-Caribéens et Pacifiques).