Par Aileen Kwa*

Le document cadre propos้ par l’O.M.C. le 16 juillet [1], en pr้paration de la r้union du Conseil G้n้ral qui d้butera le 27 juillet, repr้sente une menace pour les pauvres en Indon้sie, en particulier pour les plus d้munis.

L’Indon้sie a rejet้ la proposition de document cadre et nous devons l’en f้liciter. En agissant de la sorte, elle ne se montre ni intransigeante ni peu flexible. La proposition de document cadre prot่ge les int้r๊ts de l’Europe et des Etats-Unis et met en place la structure l้gale qui permettra aux deux superpuissances de continuer เ pratiquer le dumping de leurs produits agricoles, เ des prix bas, sur les march้s des pays en voie de d้veloppement – au d้triment des populations modestes. Or les Indon้siens avaient d้jเ pay้ pour voir.

LA LIBERALISATION ET SES CONSEQUENCES

A la suite de la crise financi่re asiatique de 1997, le FMI a impos้ une lib้ralisation totale des ้changes commerciaux เ l’Indon้sie, comme condition d’un pr๊t de plusieurs millions de dollars. Etaient inclus la baisse des droits de douane et la d้r้gulation de BULOG [2], l’agence nationale d’achat et de distribution alimentaires. Ainsi, les grandes puissances, en particulier les Etats-Unis, o­nt eu acc่s เ un tr่s gros march้, pour liquider leur production agricole exc้dentaire.

Les droits de douane indon้siens furent r้duits เ 5%, ou m๊me moins, sur des produits de premi่re n้cessit้. Par exemple, ils furent supprim้s pour le soja et le riz, et fix้s เ 5% pour le ma๏s. Le chaos social et politique et les ้meutes qui s’ensuivirent forc่rent le retour des droits de douane เ 30%.

Avant la d้r้gulation, seule BULOG avait le contr๔le des importations de produits de premi่re n้cessit้ en Indon้sie, et donc le contr๔le des approvisionnements et des prix locaux. Ce pouvoir est maintenant presque inexistant : BULOG ne contr๔le plus les quantit้s import้es, sur lesquelles des agents priv้s agissent librement. M๊me son r๔le de r้partition du riz et des autres produits de premi่re n้cessit้ entre les diff้rentes r้gions du pays est aujourd’hui tr่s limit้.

La lib้ralisation a eu de tr่s fortes r้percussions sur l’Indon้sie. Les importations o­nt inond้ le pays. Du jour au lendemain, les importations de riz o­nt tripl้ ; elles se sont maintenant stabilis้es เ 3,5 millions de tonnes par an, ce qui repr้sente pr่s de 6% de la consommation du pays. Les importations de sucre quant เ elles o­nt explos้ – passant de 20 a 50 % de la consommation int้rieure – tandis que les importations de graines de soja repr้sentent maintenant au moins 50% de cette consommation.

C’est pour le soja que les r้percussions sur l’emploi en milieu rural sont les plus visibles. Le nombre de producteurs de soja est pass้ de 5 millions en 1996 เ 2,5 millions en 2001. En supposant que chaque producteur nourrisse une famille de 4 personnes, dix millions de personnes sont touch้es par le probl่me.

 

Si le march้ du travail en milieu urbain ้tait meilleur, ou si la population indon้sienne avait le courage et les moyens de supporter cet “ajustement structurel”, personne ne s’en plaindrait. Le vrai probl่me, c’est qu’il ne s’agit pas d’un ajustement structurel passager : le sous-emploi ou le ch๔mage sont des r้alit้s durables. La moiti้ des 220 millions d’habitants vit encore plus ou moins au niveau du seuil de pauvret้. Les journaux d้crivent le d้veloppement prodigieux des maisons de pr๊t sur gage: les gens vendent leurs biens les plus pr้cieux simplement en ้change d’un repas.

POURQUOI LE COMMERCE INTERNATIONAL EST-IL AUSSI INJUSTE?

Les subventions accord้es annuellement par les Etats-Unis et l’Europe เ leur march้ int้rieur et เ l’exportation repr้sentent de 80 เ 90 millions de dollars am้ricains. Les cons้quences en sont la chute des cours mondiaux et, pour les pays qui o­nt ouvert leur march้ int้rieur, comme par exemple l’Indon้sie, la perte de comp้titivit้ des producteurs locaux sur leur march้.

Le riz et le soja sont des produits de premi่re n้cessit้ en Indon้sie. Aux Etats-Unis, les subventions gouvernementales sont en forte hausse ces derni่res ann้es. En 2002, le riz ้tait produit aux Etats Unis เ un co๛t de 18,26$ le boisseau [3] et export้ เ 11,8$. Dans le m๊me temps, le co๛t de production du soja ้tait de 7,34 $ le boisseau et เ l’exportation เ 5,48 $.

Les subventions เ la culture du ma๏s o­nt augment้ aux Etats-Unis de 32 millions de dollars am้ricains en 1995 เ 2,8 milliards en 2000; pour le soja, de 16 millions เ 3,6 milliards. Pour le riz, dont les Etats-Unis sont devenus le premier exportateur, les subventions o­nt augment้ de 11,6 millions de dollars เ 763 millions en 2001.

 

LA PROPOSITION DE CADRE AGRICOLE DE L’OMC – SES IMPLICATIONS POUR L’INDONESIE

Au lieu d’inverser la tendance, la proposition de cadre agricole de l’ OMC, qui est n้goci้e เ Gen่ve en ce moment, ne fait que renforcer les injustices.

1) Les Etats-Unis et l’Europe maintiendront leurs subventions et, tout en continuant เ faire semblant de prot้ger les plus faibles, l’OMC ne fait que donner un cadre l้gal เ cette injustice.

2) Malgr้ le dumping, o­n demande aux pays en voie de d้veloppement de continuer เ abaisser leurs barri่res douani่res pour ouvrir encore plus largement leur march้ int้rieur.

3) Noy้ dans le texte -้crit dans le plus pur jargon ้conomique- qui devra ๊tre d้battu cette semaine, il y a cette phrase sur les Entreprise Commerciales d’Etat, qui stipule que : ” l’utilisation des pouvoirs du monopole fera l’objet de n้gociations”. Voici ce qui devrait limiter encore plus les pouvoirs d้jเ r้duits du BULOG, et emp๊cher เ tout jamais de les r้tablir. Le coup port้ เ l’Indon้sie sera rude, puisque le BULOG avait assur้ jusqu’en 1998 la s้curit้ alimentaire et un juste prix pour les producteurs, dans un contexte o๙ seules les barri่res douani่res pouvaient constituer un rempart contre le dumping. Dans ce contexte, le contr๔le par le BULOG des quantit้s import้es ้tait essentiel, et constitue encore une solution envisageable pour le futur ; tout simplement parce que les droits de douane peuvent bloquer les importations mais pr้sentent en contrepartie l’inconv้nient de faire augmenter les prix sur le march้ int้rieur, ce que le gouvernement voudrait ้viter. En effet, la volatilit้ des prix peut provoquer ้meutes et chaos politique.

LES PRODUITS SPECIAUX: RELLE SOLUTION OU CONFORT TROMPEUR ?

Le gouvernement indon้sien s’est fait le champion des “produits sp้ciaux” (PS). Ce sont des produits essentiels pour la s้curit้ alimentaire et les milieux ruraux, qui devraient donc ๊tre exempt้s de toute baisse des droits de douane. Effort louable. Mais le gouvernement indon้sien commettrait une erreur si il basait la souverainet้ nationale et la vie de millions de personnes sur ce nouveau concept. Ceci pour deux raisons:

  • Premi่rement, la proposition de juillet montre bien que les pays d้velopp้s ne sont pas pr๊ts เ c้der une o­nce de terrain. Les Etats-Unis et l’Europe n’ont pas accept้ les produits sp้ciaux, mais seulement promis d’examiner le sujet. Mais, de nombreux exemples dans l’histoire de l’OMC le prouvent, les pays d้velopp้s ne tiennent pas les promesses qu’ils font aux pays en d้veloppement. Ils sont juste pass้s ma๎tres de ce petit jeu et se r้v่lent en fait intransigeants.
  • Deuxi่mement, il semble que quelques produits seulement, peut-๊tre trois ou cinq, pourraient avoir l’appellation “produit sp้cial”. Une vraie s้curit้ alimentaire ne peut pas se baser sur un petit nombre de produits. De plus, les droits de douane sur ces produits pourraient aussi ๊tre abaiss้s, mais peut-๊tre dans une proportion moindre.

 

CONCLUSION

Tant que le gouvernement indon้sien ne pourra pas ๊tre certain d’obtenir un accord ้quitable sur le commerce des produits agricoles, il est dans l’int้r๊t du peuple que les n้gociateurs bloquent toute d้cision cette semaine. Un accord irr้fl้chi enfoncerait des millions de personnes dans la mis่re et le ch๔mage – ce que le pays ne peut absolument pas se permettre.

* Aileen Kwa est politologue pour Focus o­n the Global South.Notes:

1.http://www.wto.org/french/tratop_f/dda_f/ddadraft_16jul04_f.doc

2. http://www.bulog.go.id/english.html

3. Approximativement 36 litres