Par Nicola Bullard*

On pouvait presque entendre la clameur lorsque le Ministère de l' Economie Américain envoya sur les roses le FMI la semaine dernière.Le 1er avril, la vice-directrice du FMI Ann Krueger confia à l' Institut d'Economie Internationale de Washington qu'elle était en faveur de la création d'une ” entité internationale unique et impartiale ” pour arbitrer et superviser la restructuration de la dette des gouvernements en banqueroute.

 

Le lendemain, John Taylor, le sous-secrétaire international du Ministère de l'Economie Américain montra son désaccord : ” La forme la plus pratique et la plus largement acceptable, a-t-il dit, consisterait à inciter les états emprunteurs et les créditeurs à ajouter un ensemble de nouvelles clauses dans les contrats de dettes “. En d'autres mots, les Etats-Unis veulent aller aussi loin que des clauses concernant des obligations collectives mais pas au-delà. Ceci constitue un revers public pour Krueger qui depuis plusieurs mois à colporter ses idées au sein des gouvernements, avocats et investisseurs. Peut-être a-t-elle omis d'en parler à Paul O 'Neill ou peut-être est-ce une exposition savamment orchestrée des termes déjà limités du débat. Peu importe la stratégie employée, une réforme suivant les lignes proposées par Krueger nécessiterait une modification de la constitution du FMI, qui en retour demande une majorité de 85 pour cent. Et comme par hasard, les USA détiennent 17 pour cent des votes.

Grossièrement, la proposition de Krueger vise à établir un ensemble de règles internationales d'obligation portant sur la restructuration de la dette, susceptible d'outrepasser les cours nationales. Ces règles pourraient autoriser l'instauration d'une ” entité internationale unique et impartiale ” pouvant ” superviser les disputer et les votes ” dans les négociations concernant la banqueroute d'un état et la restructuration de la dette. Les responsables du FMI suggèrent que cette 'entité' soit modelée sur le modèle des comités de discussion de la WTO. Une telle approche pourrait donner au FMI un statut presque légal pour superviser l'établissement et la mise en vigueur des règles internationales d'obligation. Étant donné l'équilibre actuel des pouvoirs au sein du FMI, la structure résultante risque d'être distordue en faveur des créditeurs et ainsi mettre sérieusement en péril la souveraineté nationale. Plus encore, la simple suggestion de prendre pour modèle la WTO où les procédures et les régulations sont dictées par les pouvoirs dominants devrait suffire à tirer la sonnette d'alarme.La proposition du FMI n'est pas progressiste et laisse présager une concentration du pouvoir encore plus importante au sein du Fond. Bien que l'Union Européenne soutienne cette proposition, les Etats-Unis sont décidés à utiliser leur poids pour passer sous silence l' initiative simplement parce qu'ils préfèrent une attitude de 'laisser-faire' et ne veulent pas que le FMI puisse avoir une vie auto nome. En fait, de fortes réactions o­nt certainement dû parcourir le Ministère de l'Economie Américain car d'habitude il s'avère plus discret lorsqu'il émet des directives pour le Fond. Néanmoins, cela nous rappelle combien il est utile de voir de temps à autre la main du marionnettiste.

COINCÉS ENTRE LE MARTEAU ET l'ENCLUME

De profondes dissensions entre la Banque Mondiale, l'UE et les USA remontent aussi à la surface au sujet du débat opposant ” prêts et bourses “. La fracture apparut pour la première fois lors de la rencontre du G7 l'année dernière à Gênes lorsque Bush arriva en ville en fanfare en annonçant que les Etats-Unis voulaient voir la Banque mondiale utiliser jusqu'à 50 % de ses fonds annuels de 6 milliards de dollars pour des subventions aux pays les plus pauvres (le pourcentage étant actuellement de 1%).

Le président de la Banque Mondiale James Wolfensohn et l'UE rejette cette idée en prétextant qu'à moins que les Etats-Unis ne s'engage à augmenter substantiellement leur contribution, un tel plan conduirait la Banque à la banqueroute. L'UE a aussi mis en avant un argument quelque peu Calviniste en disant que payer des intérêts ” instaure une discipline ” entre les emprunteurs et les prêteurs. Ce qui n'est ni mentionné par l'UE ni par la Banque (pour des raisons évidentes de bon goût) est leur crainte qu'une réduction des prêts tendrait à réduire leur pouvoir de dicter les politiques économiques des pays pauvres et à faibles revenus. D'autres – comme Jubilee South – pensent au contraire que la proposition Américaine pourrait simplement donner à la Banque une emprise plus importante pour imposer ses conditions : les pays pauvres se feraient mener par le bout du nez pour obtenir sans frais de l'argent. À première vue, cela semble peu convaincant car les pays emprunteurs se font déjà mener par le bout du nez et payent des intérêts sans raisons. Néanmoins si les idées de Lerrick et Meltzer étaient mises en vigueur (voir ci-dessous), elles seraient peut-être reconnues comme valables.

Wolfensohn n'aime pas cette idée car il craint qu'un accroissement du portefeuille des subventions n'entraîne la banqueroute de la Banque et donc une réduction de son emprise. Mais il est pris au piège à cause de son besoin d'un appui politique de la part du Ministère de l' Economie Américain (par ailleurs o­n peut se demander qui va pouvoir accéder à cette confortable somme d'argent que Bush a promise à Monterrey)En dépit d'une audience réticente à Gênes, les USA insistent encore sur cette proposition. Quand le Ministre de l'économie Paul O'Neill fit cette proposition à l'IIE en février cette année, il déclara que la Banque Mondiale avait ” conduit les pays pauvres dans un fossé ” en prêtant de l'argent au lieu d'octroyer des subventions (New York Times 21 Février)

Jusqu'ici malgré tout, la proposition Américaine, telle qu'elle a été définie par Bush et O'Neill semble traiter cette question plus rhétoriquement qu'en détail. Néanmoins l'indice qui semble révéler ce que le ministère américain a en tête, transparaît dans un récent article d'Adam Lerrick et Alan Meltzer (du rapport Meltzer) intitulé :'Grants a better way to deliver aid' (Subventions : a meilleur moyen d 'aide)[1]. Basé sur les notes d'un briefing (et non sur l' article en lui-même), leur proposition ressemble à une machination rusée pour la privatisation des services publics avec l'aide de subventions. Le fond du problème est que les services sociaux éligibles pour ces subventions, comme l'éducation ou la santé, vont être forcés de se soumettre à des offres compétitives de la part de fournisseurs locaux et étrangers, publics et privés. Une telle approche allant parfaitement de pair avec les négociations de la WTO GATS élèverait les conditions requises pour les aides à des niveaux sans précédents. Peut-être s'agit-il de ce que la WTO et la Banque Mondiale appellent ” la cohérence politique “.La proposition de base de l'administration US (alors que nous attendons pour ses détails) a néanmoins du mérite : les pays pauvres seraient plus à l'aise financièrement avec un accès facilité à un argent gratuit et sans conditions, afin qu'ils puissent garantir santé, éducation, logement, eau et d'autres droits économiques et sociaux fondamentaux. Ce n'est certainement pas de l'altruisme. Il se pourrait que cela soit un désir d'affaiblir la Banque (les Républicains après tout, sont beaucoup moins attachés à la Banque et au FMI, ne sachant pas vraiment juger quels profits ils tirent de leurs investissements). Il se pourrait d'un autre côté que cela fasse partie d'un plan plus compliqué visant à établir un lien entre les ” subventions ” et les privatisations de services publics comme la santé et l'éducation. En d'autres mots, il s'agit d'un autre moyen de faire passer l'argent public dans des mains privées au nom de l'efficacité exigée pour l'aide.Jusqu'à ce que nous sachions quelle est la position des USA, il est impossible de prendre parti dans ce débat. Paul O'Neill, en revanche, a raison sur un point : les pays pauvres o­nt été conduits dans un fossé à cause de ces prêts. Nous devrions par conséquent soutenir la proposition essentielle visant à donner aux pays pauvres et à faibles revenus un accès ” sans coûts et sans conditions ” aux subventions de la Banque, particulièrement pour la provision gratuite et universelle de services sociaux comme la santé, l'éducation, le logement et l'eau.

LE FMI attaqués à cause de sa clémence

Finalement, des félicitations sont dues au département des relations publiques du FMI. Sans à-coups, ils o­nt montré leur capacité inégalée pour renvoyer toute responsabilité dans la crise Argentine et ainsi réécrire l'histoire.Au cours plus récentes vagues de révisionnisme en matière de relations publiques, les officiels du FMI furent apparemment attaqués (pauvres créatures) par des critiques à cause de leur trop grande clémence en Argentine. Ne voulant pas passer pour un tendre, le FMI a fait vou lors de la dernière série de négociations de durcir ses positions, insistant pour que l'Argentine réduise encore ses budgets, modifie ses lois de banqueroute (qui apparemment rendent ” difficile pour les créanciers de recouvrir les mauvaises dettes “), de revoir leur arrangements des différentes provinces concernant la participation aux taxes et d'émettre des ” pseudo-devises “.

La pression pour réduire les dépenses publiques est particulièrement obstinée et pas seulement politique. Une étude récente du Centre de Recherche Economique et Politique basé à Washington montre que de 1993 à 2000, les dépenses de l'Argentine pour les salaires, les programmes et les opérations du gouvernement étaient stables, en revanche, les versements d'intérêts o­nt triplé à cause de la combinaison fatale entre des taux d'intérêts très élevés et l'alignement de la monnaie sur un dollar toujours en hausse. Ainsi que l'auteur conclut : ” l' histoire communément acceptée suivant laquelle le gouvernement n' aurait su pratiquer cette douloureuse médecine qu'est l'austérité, ou bien se saurait perdu au fond du gouffre, ne repose pas sur les données “[2].Le rapport du FMI en Argentine est désastreux : leur politique de conseil soutenu par les conditions de prêt, a créé et perpétué la ruineuse combinaison d'un taux de change fixe et d'une privatization des capitaux. Alors, lorsque le manquement à leurs engagements fut la seule option, ils transmirent la tâche dere-structuration' à leur Homme à Buenos Aires, Domingo Cavallo, qui échoua misérablement puisqu 'il est maintenant derrière les barreaux pour sa supposée participation à des contrats illégaux d'armements. (Bien qu'il fût sévèrement rejeté par son propre peuple, Cavallo doit être réconforté de savoir qu'il est encore un membre bienvenu du club officieux des financiers internationaux, le groupe des 30, comptant parmi eux Paul Volcker, Larry Summers et Stanley Fisher).

L'attitude insouciante (et insondable) du FMI envers l'Argentine semble apparemment continuer. Ils savent que serrer plus la ceinture et imposer plus d'austérité et de sacrifices de la part de la population entraînera à coup sûr le gouvernement Duhalde vers le précipice. Quel est donc l'objectif du FMI ? Sont-ils obstinés ou protègent-ils tout simplement les intérêts de leurs actionnaires ?Comme toujours avec le Fonds, il est impossible de dire là où s'arrête l'économie et là où démarre la politique.

[1] Quaterly International Economics Report, Carnegie Mellon Gaillot Center for Public Policy, January 2002[2] 'What Happened to Argentina ?' Mark Weisbrot and Dean Baker, CEPR, January 2002, www.cepr.net

*Vice-directrice de 'Focus o­n the Global South' Traduction : Gilles Rico et Jean-Pierre Renard. [email protected] traducteurs bénévoles.