LE ROLE DE LA « COALITION DES VOLONTAIRES » DANS LA VIOLATION DU DROIT INTERNATIONAL ET DES DROITS DE L’HOMME UNIVERSELS
Par Walden Bello
Traduction par Maryline Rullet, Caroline Gauthier, Eva Ibanez and Claire Lochet from Coorditrad.
(Discours prononcé au Tribunal Mondial pour l’Irak, Dernière session, Istanbul, le 24 juin 2005)
Mesdames et Messieurs les honorables membres du Jury de Conscience et du Comité des Avocats : le dossier que j’ai aujourd’hui en charge consiste à énumérer et détailler les charges spécifiques retenues contre la Coalition des Volontaires rassemblée par le gouvernement américain afin de soutenir son agression en Irak. Les accusations qui pèsent contre le principal agresseur, les Etats-Unis, ont été exposées par d’autres avocats. Je limiterai donc mes déclarations aux autres membres de la Coalition, y compris le gouvernement du Royaume-Uni, principal partenaire des Etats-Unis.
Dans l’invasion, l’occupation et la destruction de l’Irak la Coalition des Volontaires porte l a responsabilité d’un complice volontaire. Naturellement, le degré de culpabilité varie, mais l’ensemble des 50 pays qui composent ce front est condamné collectivement pour avoir cautionné une violation fondamentale du droit international soit l’invasion d’un pays souverain. Par conséquent, tous les gouvernements prenant part à cette formation doivent être tenus pour responsables et traduits en justice devant les institutions juridiques internationales compétentes qui seront à même d’entamer des poursuites judiciaires, de prononcer une condamnation, une peine, et de fixer le montant des réparations à l’égard du peuple irakien.
COALITION DES VOLONTAIRES – QUOI, QUI, POURQUOI ?
La « Coalition des Volontaires » fut annoncée par le secrétaire d’Etat des Etats-Unis Colin Powell peu de temps avant l’invasion du 20 mars 2003, ceci après que les Etats-Unis aient renoncé à faire voter au Conseil de Sécurité des Nations Unies la célèbre Seconde Résolution autorisant la guerre. En mars 2004, la Coalition à son apogée était composée d’environ 50 membres dont les Etats-Unis. Trente-quatre d’entre eux avaient des troupes déployées en Irak. Divers facteurs – dont les plus évidents sont les attaques armées à domicile, les activités de la résistance irakienne, la pression politique de la part des citoyens et l’embarras international – ont jusqu’en mars 2005 conduit 15 pays à retirer leurs troupes.
Actuellement on compte environ 23 900 soldats non américains déployés en Irak par la Coalition au côté d’un contingent américain qui comprend environ 130 000 hommes 1.
Quelles raisons ont poussé ces gouvernements à se joindre à la Coalition ? Elles sont diverses. Bien qu’issu d’un contexte idéologique et politique différent de celui du Président américain George Bush, le Premier Ministre travailliste Tony Blair semble réellement croire à un « changement de régime » en Irak imposé de l’extérieur. Le soutien à Bush de la part de ses sympathisants idéologiques José Maria Aznar pour l’Espagne et Silvio Berlusconi pour l’Italie, est bien plus compréhensible, le dernier des deux hommes étant tristement célèbre pour avoir déclaré que « l’Occident continuera à conquérir des nations, même si cela implique une confrontation avec une autre civilisation, l’Islam, solidement attaché à une position qui date de 1 400 ans 2. »
En ce qui concerne les gouvernements japonais et coréen, le raisonnement était évidemment basé sur l’attente d’une protection militaire américaine en contrepartie. Comme l’a décrit un commentateur, la plupart des autres gouvernements a participé à un véritable « opéra bouffe des petits Etats » qui ont été soit forcés soit achetés par Washington avec des promesses de contrats juteux après guerre ou d’aide économique 3.
LA FONCTION DE BASE DE LA COALITION : RENDRE PROPRE UN ACTE ILLEGITIME
Quelles qu’aient été leurs intentions, les membres de la Coalition des Volontaires ont été utilisés par les Etats-Unis dans le but de fournir une légitimité à l’invasion et à l’occupation d’un pays indépendant, ce qui les rend complices d’une violation flagrante du droit international. Les déclarations de membres de la Coalition appuyant l’invasion américaine étaient largement propagées par Washington afin de désamorcer la critique à l’égard de son action de toute évidence illégale. Un échantillon des déclarations officielles de ces gouvernements diffusées avant et après l’invasion par Washington révèle dans quelle mesure ils se sont laissés manipuler par le gouvernement des Etats-Unis pour justifier une guerre illégale et sans fondements. Ces déclarations sont extraites mot pour mot de l’argumentaire publié par Washington 4 dans le but de justifier l’intervention militaire:
« Saddam Hussein représente un danger pour la loi et la paix. C’est pourquoi les Pays-Bas apportent un soutien politique à l’action qui a été déclenchée contre lui. » (Le Premier ministre Jan Peter Balkenende, 20 mars 2003)
« Les Philippines font partie de la coalition des volontaires… Nous apportons un soutien politique et moral aux actions visant à débarrasser l’Irak de ses armes de destruction massive. Nous faisons partie d’une alliance de sécurité de longue date. Nous faisons partie de la coalition mondiale contre le terrorisme. » (La Présidente Gloria Macapagal Arroyo, 19 mars 2003)
« Au moment où les efforts diplomatiques ont échoué à résoudre de manière pacifique le problème de l’Irak, je crois qu’une action est inévitable pour supprimer rapidement les armes de destruction massive. En règle générale, les Coréens s’allient lorsque les choses deviennent difficiles. » (Le président Roh, 20 mars 2003)
«Le Conseil des Ministres siégeant sous la présidence de Son Excellence Yoweri Museveni, président de l’Ouganda, le 21 mars 2003, a décidé de soutenir la coalition menée par les Etats-Unis afin de désarmer l’Irak par la force. Le Conseil des Ministres a également décidé qu’en cas de besoin, l’Ouganda mettrait en œuvre tous les moyens possibles pour apporter son aide. » (Le Ministre des Affaires Etrangères James Wapakhabulo, 24 mars 2003)
« La responsabilité incombe uniquement au régime irakien et à son refus entêté de se conformer aux résolutions des Nations Unies ces 12 dernières années… En ce moment difficile le Portugal réaffirme son soutien à ses Alliés avec qui il partage les valeurs de Liberté et de Démocratie, il espère que cette opération sera aussi courte que possible et qu’elle atteindra tous ses objectifs. » (Le Premier Ministre José Manuel Durao Barroso, 20 mars 2003)
LA COALITION PARTICIPE A L’OCCUPATION
Les 34 pays suivants sont aujourd’hui accusés d’avoir participé activement à l’invasion et à l’occupation de l’Irak à travers le déploiement de troupes armées : l’Albanie, l’Arménie, l’Australie, l’Azerbaïdjan, la Bulgarie, la Corée du Sud, le Danemark, l’Espagne, l’Estonie, la Géorgie, le Honduras, la Hongrie, l’Italie, le Japon, le Kazakhstan, la Lettonie, la Lituanie, la Moldavie, la Mongolie, la Nouvelle Zélande, le Nicaragua, la Norvège, les Pays-Bas, les Philippines, la Pologne, le Portugal, la République Dominicaine, la République Tchèque, le Salvador, la Slovaquie, la Thaïlande, les îles Tonga, le Royaume Uni, et l’Ukraine. 25 de ces 34 pays maintiennent encore des forces de sécurité dans le pays. Certains de ces pays comme l’Espagne et les Philippines ont désormais retiré leurs troupes ou forces de police, tandis que d’autres comme les Pays-Bas, l’Ukraine, la Bulgarie et l’Italie ont commencé ou annoncé le retrait progressif de leur contingent. Cependant, tous doivent être jugés responsables d’avoir apporté une aide concrète à l’occupation américaine.
Les pays suivants, bien qu’ils n’aient pas déployé de troupes, sont accusés de complicité dans la violation de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de l’Irak pour leur adhésion à la Coalition des Volontaires : l’Afghanistan, l’Angola, la Colombie, le Costa Rica, l’Erythrée, l’Ethiopie, les Iles Marshall, les Iles Salomon, l’Islande, le Koweït, la Micronésie, les îles Palau, le Rwanda, Singapour, l’Ouganda, et l’Ouzbékistan.
CLASEMENT 1 : LES CONTINGENTS DE TROUPES EN IRAK EN FONCTION DE LEUR PAYS D’ORIGINE, MARS 2004
Etats-Unis 130 000 ; Royaume-Uni 9 000 ; Italie 3 000 ; Pologne 2 460 ; Ukraine 1 600 ; Espagne 1 300 ; Pays-Bas 1 100 ; Australie 800 ; Roumanie 700 ; Bulgarie 480 ; Thaïlande 440 ; Danemark 420 ; Honduras 368 ; Salvador 361 ; République Dominicaine 302 ; Hongrie 300 ; Japon 240 ; Norvège 179 ; Mongolie 160 ; Azerbaïdjan 150 ; Portugal 128 ; Lettonie 120 ; Lituanie 118 ; Slovaquie 102 ; République Tchèque 80 ; Philippines 80 ; Albanie 70 ; Géorgie 70 ; Nouvelle-Zélande 61 ; Moldavie 50 ; Tonga 40 ; Macédoine 37 ; Estonie 31 ; Kazakhstan 25.
Parmi les membres de la Coalition, le rôle et la responsabilité du Royaume-Uni, de l’Italie et de l’Espagne méritent d’être soulignés. Le Royaume-Uni a joué un rôle majeur dans l’invasion et, conjointement avec l’Italie et l’Espagne, a assuré le rôle de leader de la Coalition pendant les premiers mois de l’occupation. Depuis lors, ces leaderships ont faibli : l’Espagne a rompu les rangs en retirant des troupes en février 2005 à la suite des attentats à la bombe perpétrés à Madrid, et le gouvernement Berlusconi en Italie a annoncé un plan de retrait des troupes à partir de septembre 2005 après la mort controversée d’un agent du gouvernement italien tué par des soldats américains à un poste de contrôle en mars 2005.
Il faut aussi distinguer le rôle et la responsabilité du Japon et de la Corée du Sud. Ces deux pays ont donné un visage « asiatique » à l’occupation et avec ses 3 600 hommes, la Corée du Sud maintient la troisième présence militaire en Irak après les Etats-Unis et le Royaume-Uni.
LA CULPABILITE PARTICULIERE QUI PESE SUR LE ROYAUME-UNI
Exception faite des Etats-Unis, c’est le gouvernement du Royaume-Uni qui doit clairement assumer le poids de la culpabilité au sein de la Coalition des Volontaires. Puisque d’autres avocats du Comité se concentrent sur le cas des Etats-Unis, je me limiterai à celui du Royaume-Uni.
PARTICIPATION A LA PLANIFICATION DE LA GUERRE
Les notes de Downing Street révélées récemment montrent que dès le mois d’avril 2002 les dirigeants travaillistes étaient informés du fait que 1) l’administration de Bush tenait à envahir l’Irak ; 2) il était convenu de le faire sur le motif de la possession par Saddam d’armes de destruction massive ; et 3) les preuves de la capacité de Saddam à développer des armes de destruction massive étaient minces. Comme le souligne une note du Ministère des Affaires Etrangères du 22 mars 2002 adressée au Ministre des Affaires Etrangères Jack Straw, « en vérité ce qui a changé, ce n’est pas le rythme des programmes d’ADM [armes de destruction massive] de Saddam Hussein, mais notre tolérance vis-à-vis de ces programmes suite au 11 septembre. » La note se poursuit ainsi : « Mais même la meilleure enquête sur les programmes d’ADM ne fera pas état d’une grande avancée ces dernières années dans les domaines du nucléaire, des missiles, ou des armes chimiques ou biologiques : ces programmes sont extrêmement inquiétants, mais pour autant que nous le sachions, ils n’ont pas été intensifiés (5) ».
Malgré la fragilité des preuves concernant l’existence d’armes de destructions massives, le Premier Ministre Tony Blair a fait sonner le tocsin et brandit l’argument des ADM ceci à peu près au même moment où les notes de Downing Street mettaient en doute l’existence d’AMD , Blair a déclaré à la Chambre des Communes le 10 avril 2002 que « le régime de Saddam Hussein est ignoble, il développe des armes de destruction massive, et nous ne pouvons pas le laisser agir de manière aussi incontrôlée (6).»
Le 24 septembre 2002, allant une nouvelle fois à l’encontre du manque de preuves, il déclare que « Ils [les services de renseignements] aboutissent à la conclusion que l’Irak possède des armes chimiques et biologiques, que Saddam a continué d’en produire, que des projets militaires sérieux existent concernant l’utilisation d’armes chimiques et biologiques qui peuvent être activées en l’espace de 45 minutes, et incluent sa propre population chiite, et qu’il tente actuellement de manière active d’acquérir la capacité nucléaire (7). »
Le 25 février 2003, peu avant l’invasion : « Les services de renseignements sont formels : il (Saddam) continue à penser que son programme d’armes de destruction massive est essentiel à la fois à la répression interne et pour les agressions externes. » Dans le même discours, il affirme « Nous estimons que l’Irak est en mesure de produire les agents biologiques dont l’anthrax, le botolium, la toxine, l’aflatoxine, et le ricin. Tous provoquent une mort extrêmement douloureuse (8). »
Puis, le jour même de l’invasion, le 20 mars 2003, Blair déclare que « Si le seul moyen d’obtenir le désarmement de l’Irak de ses ADM est de renverser le régime, alors le renversement du régime doit être notre objectif (9). »
Il apparaît aujourd’hui que les efforts considérables du gouvernement Blair pour fournir la preuve que l’Irak possédait des ADM l’ont conduit à falsifier ou comme l’affirme un reportage de la BBC (principale chaîne de radio et télévision britannique) à « muscler » le dossier de 50 pages des Services Secrets Britanniques concernant le supposé programme d’ADM de Saddam diffusé en septembre 2002. Ce dossier est l’un des éléments clé utilisés par le gouvernement anglais pour argumenter en faveur de la guerre. Pris sous les feux croisés de la pression du gouvernement et de la fragilité des preuves David Kelley, un scientifique d’Etat haut placé ancien Inspecteur des ADM en Irak, a fait part à la presse de ses doutes sérieux concernant le contenu du dossier et en particulier l’affirmation selon laquelle l’Irak pourrait activer ses armes de destruction massive en moins de 45 minutes. Il semble que c’est la pression exercée sur lui par le gouvernement qui l’aurait finalement poussé au suicide en juillet 2003.
Les notes de Downing Street indiquent également que même si les preuves de l’existence d’ADM était minces voire inexistantes, le gouvernement Blair soutenait fermement l’idée d’envahir l’Irak afin d’instituer un « changement de régime » bien qu’il ne puisse le déclarer publiquement ; cela revenait en effet à préconiser une violation claire du droit international. Ainsi, dès mars ou avril 2002, période durant laquelle le gouvernement Blair et l’administration Bush déclaraient ne pas se livrer à une planification de la guerre, ils se trouvaient déjà à une phase avancée du processus.
Alors que le gouvernement britannique n’était pas convaincu de la menace d’armes de destruction massive, les notes révèlent qu’il partage avec l’administration Bush le désir de changer le régime par la force militaire.
Une note de la mi-mars 2002 expose en détail une lettre de Christopher Meyer, alors Ambassadeur Britannique aux Nations Unies, concernant une conversation qu’il a eue lors d’un déjeuner avec Paul Wolfowitz, alors Sous-secrétaire américain à la Défense. « Nous avons apporté notre soutien à un changement de régime », écrit-il, « mais le projet devait être intelligent, et l’échec était exclu. Cela serait difficile à faire passer à l’intérieur du pays, et probablement plus difficile encore partout ailleurs en Europe (10). »
En même temps, les fonctionnaires britanniques savent que le changement de régime en soi ne peut pas être invoqué comme objectif de l’invasion. Ainsi que le constate une note datée du 8 mars 2002 qui esquisse les différentes possibilités pour traiter le problème de l’Irak, « une invasion dans le but d’opérer un changement de régime n’a aucun fondement en vertu du droit international. » Le dilemme et sa solution sont énoncés plus de deux semaines après par Jack Straw, Secrétaire aux Affaires Etrangères : « Le changement de régime ne constitue pas en soi la justification d’une action militaire ; cela pourrait faire partie d’une stratégie, mais cela ne peut pas constituer un objectif ». « L’élimination du potentiel irakien d’armes de destruction massive doit constituer l’objectif (11). » Comme on pouvait s’y attendre, le gouvernement Blair s’est lancé dans une course à la fabrication d’une menace inexistante, qui a atteint son point culminant dans l’infâme dossier du 25 septembre 2002, devenu le document clé diffusé par Washington et Londres pour justifier l’invasion imminente de l’Irak.
Au bout du compte, il est clair que c’est en grande partie Tony Blair, à l’encontre de la volonté d’une vaste majorité de Britanniques et d’une part significative de son parti, qui a conduit le Royaume-Uni à la guerre. Pourquoi ? Certains commentateurs disent qu’il croyait réellement à l’éthique d’un changement de régime imposé de l’extérieur, ce qui fait de lui comme de Bush un homme effectivement très dangereux. D’autres, mettant de côté l’aspect éthique, disent que Blair était en fait motivé par une froide realpolitik. Mon sentiment est que, en plus d’une éthique tendancieuse, la motivation la plus vraisemblable est le désir de placer le gouvernement britannique au centre du pouvoir mondial, aux côtés des Etats-Unis. « C’est mon travail de protéger et de propulser en avant la puissance britannique (12). » a déclaré le premier ministre.
LA MISE EN ŒUVRE DE LA GUERRE
Outre son rôle dans la préparation de la guerre, la façon dont le gouvernement britannique a mené la guerre en Irak révèle clairement son mépris du droit international et des Droits de l’Homme universellement reconnus.
L’invasion du pays fut précédée d’une campagne de bombardements qui a débuté approximativement 10 mois auparavant, en mai 2002. Les avions de la Royal Air Force rejoignent les avions de l’armée de l’air américaine dans ce que l’on appelle alors des « pics d’activité », visant à pousser le régime de Saddam Hussein à riposter et par conséquent à fournir le prétexte de la guerre. Ces actions que les fonctionnaires américains, tels le Commandant général allié Tommy Franks justifient comme étant nécessaires pour « casser » les défenses aériennes irakiennes, ne sont autorisées par aucune résolution des Nations Unies. En effet, comme le montrent les notes provenant de Downing Street, le Ministère britannique des Affaires étrangères avait fourni un avis juridique en mars 2002 – deux mois avant l’intensification des bombardements – affirmant que les avions étaient légalement autorisés à patrouiller les zones d’exclusion aérienne au-dessus du nord et du sud de l’Irak uniquement en vue de prévenir les attaques de l’armée de Saddam sur les populations Kurdes et Chiites, et qu’ils n’étaient pas habilités à exercer quelque pression que ce soit sur le régime. Cette activité illégale fut davantage intensifiée à la fin du mois d’août 2002, suite à une réunion du Conseil Américain de Sécurité Nationale où il s’est avéré que son objectif était d’affaiblir autant que possible les défenses aériennes irakiennes pour préparer une possible invasion (13). Depuis le début de l’invasion, la Grande-Bretagne a envoyé quelques 65 000 soldats sur place soit presque un tiers de ses forces armées pour participer à une guerre illégale, non autorisée par les Nations Unies. Environ 8 761 soldats étaient stationnés là-bas en mars 2005.
La tâche principale des troupes britanniques était à ce moment là de sécuriser le secteur sud, notamment la ville de Bassora. Cette campagne est marquée par un nombre record de décès de civils irakiens. Certains de ces décès furent causés par l’utilisation de bombes à fragmentation bien connues pour être fatales aux populations civiles. Alors même que les officiels du Ministère de la Défense britannique se sont initialement engagés à ne pas utiliser d’armes « à l’intérieur et autour de Bassora », Human Rights Watch a rapporté plusieurs combats utilisant des armes à fragmentation aux environs de cette ville. A l’occasion d’opérations militaires en avril et mars 2003, les forces britanniques lancent 70 de ces bombes par voie aérienne, et 2100 par voie terrestre, contenant en tout 113 190 sous munitions. Au total sur cette période les Etats-Unis et les Britanniques ont utilisé 13 000 bombes à fragmentation, soit 2 millions de sous munitions (14).
Human Right Watch a également accusé les autorités militaires britanniques de ne pas avoir réussi à sécuriser de grandes caches d’armes abandonnées par l’armée irakienne et qui s’avèrent responsables de nombreux décès et blessures parmi les civils. Ainsi, l’hôpital al-Jumhuriyya de Bassora a reçu en moyenne cinq personnes par jours victimes de ces armes abandonnées, ce qui amène le Directeur exécutif de Human Rights Watch Kenneth Roth à déclarer que « La Grande-Bretagne, en tant que puissance occupante, a échoué dans son devoir d’assurer la sécurité des populations civiles locales. Son incapacité, ou son manque de volonté, à neutraliser les armes abandonnées n’a fait qu’aggraver le caractère dangereux de la situation (15). »
L’occupation étrangère est prétexte à des violations systématiques des Droits de l’Homme. Cela a été le cas avec l’occupation américaine du centre et du nord de l’Irak. La prison d’ Abu Ghraib est désormais synonyme de violation de la Convention de Genève, de politique de torture et d’abus sexuels systématiques, alors que la reconquête américaine de Fallujah en novembre et décembre 2004 est devenue une version contemporaine de la mise en application du cruel adage romain « Carthago delenda est » (Carthage doit être détruite).
L’occupation britannique de Bassora et du sud de l’Irak, bien qu’ayant reçu une moindre attention des média a également été marquée par des violations des Droits de l’Homme les plus élémentaires. Après une année de présence dans cette partie de l’Irak, de nombreux cas de civils tués ou blessés par les troupes britanniques sont avérés. Amnesty International rapporte que dès le début du mois de mars 2004, les autorités britanniques ont admis être impliquées dans le meurtre de 37 civils. Elles ont néanmoins reconnu que le tableau est loin d’être complet. Dans un certain nombre de cas sur lesquels Amnesty a enquêté, « les soldats britanniques ont ouvert le feu et tué des civils irakiens dans des circonstances où apparemment ni eux ni personne n’étaient soumis à une menace de mort ou de blessure grave (16). » Amnesty a découvert que la Police Militaire Royale (RMP) britannique est « hautement dissimulatrice et … ne fournit aux familles que peu ou pas de renseignements sur l’avancement ou les conclusions des enquêtes (17). »
De plus, le processus pour que les familles puissent obtenir un dédommagement s’est avéré complètement inadéquat, truffé d’incohérences, trop bureaucratique et pratiquement inaccessible aux Irakiens pauvres (18).
La torture et les abus sexuels sur prisonniers sont un autre point noir de l’occupation britannique. En janvier 2005, des photos sont diffusées dans la presse nationale dénonçant la torture et les abus systématiques exercés par des soldats du 1er bataillon du Régiment Royal d’Infanterie sur des Irakiens. Comme le décrit un rapport, « une des photographies montrait un civil irakien grimaçant, attaché fermement par un filet de cargo militaire et suspendu à un chariot élévateur conduit par un soldat britannique. Un autre montrait un soldat en short et tee-shirt, debout sur le corps attaché d’un civil irakien. D’autres images montraient deux hommes irakiens nus forcés à simuler une relation sexuelle anale et deux autres forcés à simuler une fellation (19). »
Les soldats sont passés en cour martiale où ils ont été condamnés à une peine de prison et pour certains expulsés de l’armée. Il y eut néanmoins un grave manquement à la justice au cours du procès puisque les victimes n’ont pas été autorisées à comparaître, ce qui aurait amené la cour à prononcer des peines plus lourdes ou à impliquer beaucoup plus de soldats, dont certains haut gradés. Parmi les témoins se trouve l’Irakien victime de l’incident du chariot élévateur, Hassan Abdul-Hussein, qui a raconté comment il avait été attaché et pendu au-dessus du vide après avoir refusé de couper les doigts d’un autre Irakien avec un couteau (20). Pourquoi ce témoignage était-il irrecevable ? L’honorable Phil Shiner, qui est aussi membre du Comité d’Avocats ici présent, affirme que le but était, comme dans le cas des abus de la prison d’Abu Ghraib, de limiter les dégâts : « Il y a ici la preuve la plus évidente que les militaires sont incapables de poursuivre en justice et d’enquêter sérieusement sur l’un des leurs. Si on le leur permet, le maximum que l’on obtient est un blanchiment des responsables et quelques condamnations symboliques jetées en pâture au public. Dans le cas présent, il est clair que quelque chose de vraiment moche a eu lieu, que des officiers étaient impliqués et qu’un grand nombre de gens a été maltraité (21). »
Alors que les soldats britanniques participaient eux-mêmes aux abus contre les civils, il n’est pas surprenant qu’ils n’aient pas réussi à assurer leur sécurité comme ils étaient tenus de le faire par le droit international. Comme d’autres régions du pays, Bassora et d’autres sites du sud de l’Irak ont été témoins « de l’assassinat d’un grand nombre de personnes, probablement des centaines, tuées délibérément par des individus ou des groupes armés pour des raisons politiques, y compris pour des actions perçues comme des atteintes à la morale, telle la vente ou l’achat d’alcool (22). » Cependant, au début de l’année 2004, pratiquement aucune enquête ou mise en accusation portant sur ces meurtres n’a eu lieu. De ce fait, Amnesty considère que les autorités militaires britanniques sont en infraction vis-à-vis de leurs obligations internationales, se référant à l’Article 27 de la 4ème Convention de Genève qui mandate la Grande-Bretagne pour assurer la protection des Irakiens en tant que puissance occupante , notamment contre les menaces et les actes de violence (23).
L’occupation provoquant l’essor d’une résistance armée en 2003 et 2004, les troupes britanniques furent amenées à soutenir les opérations américaines dans le centre de l’Irak. Le cas le plus connu de soutien indirect des Britanniques aux efforts américains pour écraser la résistance du peuple irakien a lieu en novembre 2004 lorsque le 850ème régiment Black Watch est déplacé du sud de l’Irak vers la province de Babil, au sud de Bagdad. Ce redéploiement fait suite à une demande des autorités militaires américaines, qui désirent utiliser leurs unités ainsi libérées pour l’attaque de la ville de Fallujah prévue après les élections américaines.
Cette action a poussé l’ancien Ministre des Affaires Etrangères britannique, Robin Cook, à parler « d’un doute sur le fait que nous ayons lancé un tiers de l’armée britannique en Irak non pas en fonction de nos intérêts nationaux, mais bien pour soutenir l’agenda politique de la Maison Blanche. Ce dernier tour d’écrou confirme l’impression que c’est Washington qui tire les ficelles et la Grande-Bretagne qui se retrouve sous les feux de la rampe. Il est également évident que cette demande était le produit de la politique américaine (24). » L’attaque américaine sur Fallujah qui s’ensuit est marquée par des centaines de morts parmi les civils, des milliers de blessés, des violations routinières des Droits de l’Homme par l’armée américaine comme le massacre des prisonniers blessés, et la destruction massive de biens matériels. En redéployant les troupes britanniques pour libérer les soldats américains pour cette attaque sauvage, le gouvernement de M Blair doit assumer une part des responsabilités dans les crimes de guerre qui en ont découlé.
CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS
L’histoire de la Coalition des Volontaires en Irak est dramatique et sordide. La Coalition a essayé l’impossible : donner une légitimité à une violation évidente et injustifiable du droit international : l’invasion de l’Irak égale dans l’ignominie l’invasion de la Pologne par les Nazis en 1939. Les 50 membres de la Coalition des Volontaires ont joué auprès des Etats-Unis aujourd’hui le rôle que les Etats fascistes roumain, hongrois et italien ont joué auprès de l’Allemagne nazi pendant la Seconde Guerre Mondiale, dans la conquête brutale et agressive de l’Europe de l’Est. De ce fait, la Coalition doit être considérée comme complice non seulement de la violation de la souveraineté irakienne, mais aussi de la violation systématique des Droits de l’Homme, des droits politiques et des droits économiques, qui sont les principales caractéristiques de l’occupation américaine et britannique dans ce pays aujourd’hui.
Parmi les membres de la Coalition, le rôle du gouvernement du Royaume-Uni doit être tout spécialement condamné. L’action du gouvernement Blair ne peut pas être réduite à celle d’un complice malgré lui de l’administration Bush. Elle ne peut pas non plus être réduite à celle d’un allié qui offre une couverture bienvenue aux méfaits de l’agresseur. Le gouvernement de Blair a activement participé à la préparation et à la conduite de la guerre. Il a engagé un tiers de l’armée britannique dans l’invasion et l’occupation de l’Irak et est parti en guerre la fleur au fusil. Tony Blair a été bien au-delà du rôle de simple meneur, il est devenu le principal apologiste de la guerre, cherchant à convaincre le monde qu’un acte immoral et illégal était en fait parfaitement défendable. Tout comme Bush et Hitler, nous l’avons déjà dit, Blair est un homme dangereux.
De lourdes sanctions doivent être prises par ce Tribunal à l’encontre de tous les membres de la Coalition, y compris ceux qui n’ont pas envoyé de troupes en Irak. En ce qui concerne ceux qui ont déployé des forces armées pour soutenir la guerre américaine, le châtiment approprié est la mise en accusation devant les tribunaux internationaux pour complicité dans l’infraction au droit international et aux Droits de l’Homme internationalement reconnus. Les membres officiels du gouvernement britannique, en particulier le premier ministre Anthony Blair, tout comme le président George Bush et les autres responsables civils et militaires du gouvernement américain doivent être poursuivis en priorité devant les institutions légales appropriées, tout particulièrement le Tribunal pénal international.
Les criminels de guerre, Mesdames et Messieurs, doivent être traduits en justice le plus tôt possible.
*Walden Bello est professeur de sociologie à l’Université des Philippines (Diliman) et directeur exécutif de l’organisation Focus on the Global South, basée à Bangkok. Il est l’auteur d’un ouvrage paru récemment : Dilemmas of domination: the unmaking of the American Empire, New York : H. Holt, 2005.
Note explicative complémentaire
QU’EST-CE QUE LE TRIBUNAL MONDIAL SUR L’IRAK ?
« Pour rétablir l’historique des faits » – c’est en ces termes qu’Arundhati Roy a décrit le but assigné à la dernière session du Tribunal Mondial pour l’Irak (WTI), tenue les 24-27 juin dernier à Istambul (Turquie). Conçu comme une partie intégrante du mouvement global anti-guerre, cet événement est le résultat de deux ans de préparation et d’organisation effectués par un large réseau de groupes issus de 24 pays différents, à l’initiative du mouvement anti-guerre turque. Inspiré du Tribunal Russel sur la Guerre du Vietnam et d’autres tribunaux populaires divers, le WTI se veut une tentative de surmonter l’échec des institutions internationales à arrêter la guerre et l’occupation de l’Irak. Prenant en compte des critiques accusant le tribunal d’être une forme d’accusation sans droit de défense, Roy, le porte-parole du Jury de Conscience, a affirmé dans son discours d’ouverture que « ce tribunal est une défense ». « Il est une défense montée contre l’une des guerres les plus lâches jamais menées dans l’histoire ».
Pour plus d’information sur le tribunal et le recueil complet des débats, rendez vous sur le site
www.worldtribunal.org.
Le WTI était l’une des initiatives approuvées par le Consensus pour la Paix de Jakarta, signé le 21 mai 2003 à Jakarta (Indonésie).
http://www.focusweb.org/publications/2003/jakarta-consensus.pdf
NOTES
1.Données extraites de Global Security : http://globalsecurity.org/military/ops/iraq_orbat_coalition.htm; cf. également le site Perspectives on World History and Current Events, « Coalition of the Willing », http://pwhce.org/willing.html2.Newsweek, 2 octobre 2001.
3.Eric Margolis, “Coalition of the coerced” : http://iraqwar.mirror-world.ru/tiki-read_article.php?articleld=208634.Citations d’après la Maison Blanche, Opération Liberté de l’Irak :http://www.whitehouse.gov/news/releases/2003/03/print/20030326-7.html
5.Thomas Wagner, « Memos show British fretting over Iraq war », Associated Press, 18 juin 2005 ; reproduit dans Truthout, 19 juin 2005 :http://www.truthout.org/docs_2005061905Z.Shtml
6.BBC News: http://newsvote.bbc.co.uk/mpapps/pagetools/print/news.bbc.co.uk/1/hi/uk_politics/30549917.Ibid.
8.Ibid.
9.Opération Liberté de l’Irak : http://www.whitehouse.gov/news/releases/2003/03/print/20030326-7.html10. John Daniszeski, « New memos detail early plans for invading Iraq », Los Angeles Times, 15 juin 2005
11.Ibid.
12. Cité dans John Newhouse, Imperial America: the Bush assault on the world order. – New York : A. Knopf, 2003 ; p. 147.
13. Michael Smith, “British Bombing Raids were Illegal, Says Foreign Office”, Peace UK.Net, 19 juin 2005 : http://peaceuk.co.uk.mdl-net.co-ul/archive/modules.php?name=News&fike=print&sid=1487
14. “UK Military Practices Linked to Iraqi Civilian Casualties”, Human Rights Watch :
http://www.hrw.org/press/2003/12/uk-iraq-press.htmhttp://www.hrw.org/press/2003/12/uk-iraq-press.htm
15. Ibid.
16. Amnesty International, Iraq: Killings of Civilians in Basra and a’Amara. – London : Amnesty International, 2004 : http://web.amnesty.org/library/print/ENGMDE140072004
17. Ibid.
18. Ibid.
19. Tony Paterson, “Simulated sex and a forklift hanging”, The Independent, 19 janvier 2005.
20. Liz Smith, “Further details released of British Army abuses in Iraq” :http://www.wsws.org/articles/2005/jun2005/iraq-j03_prn.shtml
21. Cité dans ibid.
22. Amnesty International, ibid.
23. Ibid.
Cité par Nile Gardiner, “The British Iraq troop redeployment: Why it is necessary”, Heritage Foundation, 26 oct. 2004: http://www.heritage.org/Research/Europe/wm595.cfm